29/10/2007

Je me souviens du Music Hall...

Bon.
Difficile de soutenir le contraire, l’album live est souvent, dans la carrière d’un artiste, plus un mal nécessaire qu’une véritable étape discographique. Certes, les fâcheux objecteront par bon nombre de contre-exemples. Mais, pour un « Unplugged in New York » ou un « Kick Out The Jams » marquants, combien de faibles prestations au son catastrophique couchées à la va-vite sur des disques sans vie voués à satisfaire contrats éditoriaux et autres publics bêlant de l’impatience crasse du consommateur obtus ?

Certes, une fois encore, la folle période des lives à go-go s’est bel et bien achevée avec les années 90. Mais il n’empêche que, chaque année, nombreux sont ceux qui viennent remplir les bacs avec ce genre de productions. Aussi, lorsqu’un artiste attachant, qui, jusque-là, avait su s’épargner le périlleux exercice, annonce qu’il va à son tour s’y coller, il est naturel de frémir. Et ce même si ledit artiste est performant sur scène, car ce type d’album possède l’étonnante faculté de glacer l’émotion, de refroidir l’énergie et d’affadir l’excitation propre aux concerts.
Il y a quelque temps sortait « Sur nos forces motrices », premier disque live de Dominique A. On ne présente plus – ou du moins plus beaucoup – ce très talentueux personnage, l’un des rares chanteurs d’expression française toléré par ceux qui vomissent l’actuelle « nouvelle chanson », détestation que votre serviteur est fier de partager. Il faut dire que lui n’a pas choisi, comme ses petits camarades dits « à textes », entre : 1) bramer des banalités sur des fonds orchestrés que l’on jurerait sortis d’une descente d’acide de JEAN-PIERRE BOURTAYRE ; 2) s’engager corps, âme et compte en banque dans des luttes acharnées contre la guerre, la misère ou la fiscalité française ; 3) se prendre allégrement pour Gainsbourg, Brel ou Brassens tout en sonnant comme Chamfort, Lama ou Sacha Distel.
Préférant l’épure à l’esbroufe et les mots aux formules, Dominique A s’est toujours détaché du lot. De son premier album, « La Fossette », à peu près aussi joyeux et chaleureux qu’un hiver russe SANS MOUFLES, jusqu’à son dernier-né, le sublime « L’horizon », il a fait de sa voix inimitable et de son goût pour les mélodies taillées au couteau de véritables références. En concert, parfois seul, souvent accompagné, il sait imposer son univers avec douceur et faire se serrer simultanément les gorges des nombreux admirateurs qui ne demandent que cela.
C’est avec appréhension que votre serviteur s’est attaqué à « Sur nos forces motrices ». Au terme de l’album, pourtant, ne restaient que la joie d’avoir retrouvé l’émotion des concerts et les remords d’avoir pensé qu’il aurait pu en être autrement. Comment douter de l’infaillibilité, même une fois extirpées hors de la salle de concert, de chansons telles que « La mémoire neuve », « La relève » ou « Pour la peau » ?
Mais c’est surtout durant « Music Hall » que l’on comprend la pertinence d’un tel disque. Toute sa signification se cache au détour des paroles :
« Il se souvient du Music Hall
Du long couloir en entonnoir
Où la foule se dévidait
Les robes ne tenant qu’à un fil (…)
Il pense qu’il est huit heures du soir
Et qu’il circule dans le couloir
Où les épaules bruissent en glissant (…)
Tu te souviens du Music Hall
De rires et de gorges serrées
Et du froissement des épaules (…)
Il voit les lettres
Rouges, et le couloir cramoisi
Et tout le possible des nuits
Qui s’affiche, rouge, en toutes lettres
Et rien de tout ça n’est fini
L’amour s’y niche, inentamé
Et tous les adieux s’y empêtrent »
C’est là le but premier de ces « Forces motrices ». Pour que, nous aussi, on se souvienne. Que l’on se rappelle un théâtre à l’italienne, dans une petite ville bretonne. Un cadre sublime, un son discutable. Mais l’émotion était là. Que l’on se rappelle une salle bondée, cinquante kilomètres et quelques mois plus loin que la première. Une salle mythique, enfumée, suante, parfaite. Et lui, grand, tout en noir. Lui qui parvient à faire trembler ensemble tous ces gens massés. Durant quelques instants de grâce, même les bruyants du fond, les bourrés-dès-vingt-heures qui hurlent « A POIL» à chaque occasion, l’ont fermé. Ce silence-là valait vraiment de l’or. S’en souvenir n’a pas de prix.

17/10/2007

Un endroit pour s'enterrer

Bon.
Prenons une addition musicale. Vous savez, de celles qui donnent fréquemment aux journalistes rock et aux nerds du disque des érections éléphantesques.

Mais si.

De celles qui poussent systématiquement le non-averti à conclure ses réactions, quelles qu'elles soient, d'un point d'interrogation au désarroi flagrant.
Mais si.
BREF. Prenons, disais-je, une addition musicale. Faisons là comme suit. Posons tout d'abord un univers mélodique prêtant assez peu à la gaudriole. Genre Joy Division, pour citer l'un de ses plus joyeux exemples.

Ajoutons lui des sonorités saturées telles qu'affectionnaient jadis deux des groupes les plus brillants de ces vingt dernières années, My Bloody Valentine et Jesus & Mary Chain. En clair : des nappes de guitares farouchement épaisses et une batterie cradingue donc géniale.

Derrière le "+" suivant, on trouvera une basse digne du Simon Gallup des meilleurs jours, un clavier façon "Japanese Whispers", bref, quelque chose de The Cure.

Vient ensuite une voix difficile à cerner car lointaine, comme par hasard. Arbitrairement, on décidera qu'elle doit énormément à l'ensemble des groupes susnommés.

Une fois ces éléments ajoutés, multiplions le résultat par le potentiel de coolitude de New-York, dramatiquement élevé, même depuis que : 1) l'on y jette des avions dans des tours; 2) Sonic Youth est parti vivre à la CAMPAGNE; 3) Lou Reed est en état de mort artistique (qui a dit "longtemps donc" ?).

Cette pénible succession de calculs terminée, on obtient naturellement un résultat. Ce dernier s'appelle "A place to bury strangers"*. Outre ce nom presque digne de rivaliser - dans les catégories "longueur" et "OPTIMISME PATENT" - avec les Texans de "And you will know us by the trail of dead", le groupe new-yorkais correspond à la description ci-dessus, malicieusement camouflée en opération mathématique, sauras-tu la retrouver ?
BREF, derechef. Egarement mis à part, il apparaît nécessaire d'intimer içi l'ordre à quiconque ayant survecu à la lecture de ces lignes - voire, encore pire, à l'écoute de tous ces artistes - de se ruer acquérir le premier album de ces jeunes gens. Non seulement l'heureux propriétaire de cette petite merveille pourra se targuer d'avoir été l'un des premiers, mais il aura également trouvé un nouveau support pour de superbes fêtes dionysiaques, de gris après-midis de novembre ou des barbecues entre amis en plein mois d'août, il fait comme il veut.

Si rien de ce qui a été dit précedemment ne vous évoque quoi que ce soit, mais que vous avez tout de même atteint ces lignes et qu'il vous reste une once de patience mêlée de curiosité, pas de crainte. Imprimez cette note et confiez là aux mains expertes du disquaire indépendant le plus proche de chez vous. Il sera très heureux. Gageons qu'à l'écoute des surprenants et décisifs "Missing You", "The Falling Sun" ou autre "She Dies", vous ne respirerez pas forcément la joie de vivre. Mais vous aurez fait une bonne action musicale. Libre à vous de vomir par la suite votre haine de ce groupe qui réussit l'exploit d'être environ vingt fois plus déprimant qu'Interpol.
Mais si vous faites ça, alors je ne réponds plus de rien.

* Pour les non-anglophones, les nuls en thème, les feignants et les électeurs de Philippe de Villiers, cela signifie : "Un endroit pour enterrer des étrangers". Non, ce n'est pas une propostion de loi de Thierry Mariani.